Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies (2021, Guy Trédaniel éditeur)
Note de lecture, Philippe Deterre, mars 2022
Voilà un livre conséquent (577 pages) qui a été déjà vendu à plus de 110 000 exemplaires. Il a donc un certain succès, y compris semble-t-il auprès des chrétiens, ce qui motive cette note de lecture…
Un livre volumineux…
La première moitié du livre (introduction et première partie) s’emploie à montrer - avec un grand sens de la vulgarisation - que les sciences du XXème siècle attestent l’idée d’un début de l’Univers et prouvent donc l’existence d’un Dieu Créateur parfois appelé aussi « intelligence créatrice » (pp.20&246), « concepteur intelligent » (p.173), « fabuleux programmeur » (p.95) ou même « super-extraterrestre » (p.26). Selon les auteurs, ces preuves sont – au moins – au nombre de quatre :
1. La thermodynamique prouve qu’il y aura une « mort thermique » de l’univers. Si fin il y a, c’est donc qu’il y a eu un début, et donc un créateur (chapitre 4, pp.55-72)
2. La théorie du Big Bang et de l’expansion de l’Univers montrerait qu’il y a eu un commencement absolu, et donc - là encore - un créateur (chapitres 5-7, pp.73-170)
3. Le réglage fin des constantes physiques permet - entre autres - l’apparition des atomes nécessaires au vivant. Ce réglage, à moins d’un milliardième près, ne peut pas être laissé au seul hasard : il y aurait donc un « concepteur intelligent » (chapitres 8-9, pp.171-208)
4. L’apparition du vivant sur la planète Terre semble trop complexe pour être due au seul hasard : il y aurait donc une intelligence supérieure (chapitre11, pp.217-248)
La seconde moitié du livre ajoute des preuves « hors science », à savoir :
La Bible contiendrait des vérités scientifiques sur le cosmos et l’homme, qui sont impossibles à atteindre humainement (chapitres 16-17, pp.325-380)
Le caractère divin de Jésus serait démontré historiquement (chapitre 18, pp.381-414)
L’improbable destin du peuple juif plaiderait en faveur de l’existence de Dieu (ch. 19, pp.415-448)
La véracité du miracle de Fatima serait impossible à contester (ch. 20, pp.449-488)
… mais finalement peu novateur.
Tous ces arguments – du moins les arguments de type scientifique – sont en fait assez classiques. Ils relèvent de ce qu’on appelle la théologie naturelle, c’est-à-dire la tentative de parler de Dieu – ici de démontrer son existence - à partir des phénomènes naturels. D’ailleurs, le sujet est très « vendeur » : il y a des dossiers récurrents sur « La science et Dieu » dans les journaux ou les revues. Il y a aussi des livres essayant ainsi de prouver l’existence de Dieu à partir des sciences qui paraissent régulièrement comme « Dieu et la science » de J. Guitton et des frères Bogdanov (Seuil, 1990) ou « Notre vie a-t-elle un sens ? » de Jean Staune (Presse de la Renaissance, 2007). Finalement, celui-ci n’est qu’une mise à jour de ce genre de littérature…
Des arguments largement critiquables sur le plan scientifique…
Plusieurs critiques importantes peuvent être formulées, et d’abord au niveau scientifique :
Faire du Big Bang le synonyme du début de l’univers est très… hasardeux. Citons à ce propos- entre autres - deux physiciens patentés : « Nous n’avons pas la preuve que l’Univers a eu une origine, et nous n’avons pas non plus la preuve qu’il n’en a pas » (Étienne Klein [1] , l’Express, 22 décembre 2021). « Un quelconque énoncé scientifique à propos d’un commencement ne peut être qu’une extrapolation incertaine » (Raphaël Duqué, La Croix, 10 janvier 2022).
Affirmer que l’émergence du vivant sur Terre est impossible sans une « main invisible » (p.218) indique une méconnaissance des recherches actuelles dans le domaine (cf. la piste intéressante du « monde de l’ARN » [2]). Ici, l’argumentaire de Bolloré et Bonnassies est en fait une reprise de la théorie du « dessein intelligent », une forme modernisée du créationnisme apparue à la fin des années 80 aux USA, largement critiquée et scientifiquement réfutée depuis [3].
…le plan théologique, …
Mais il me semble que le défaut majeur de ce livre est de se tromper sur ce que la foi monothéiste désigne comme Dieu créateur. En faire un programmeur ou un concepteur - même très intelligent - c’est l’utiliser comme « bouche-trou » pour nos ignorances actuelles (ceci ou cela est trop « complexe » pour être expliqué autrement, donc…). D’autre part, c’est ignorer que l’acte créateur est autre chose qu’une fabrication, et que c’est – pour le moins - une parole d’alliance.
Mais, après tout pourrait-on dire, partir de la Nature vue et entendue comme création-fabrication est une voie possible pour entrer dans le mystère de Dieu, le Dieu des religions en général et de la révélation chrétienne en particulier. Effectivement, dans leur avertissement au début du livre, les auteurs souhaitent à leurs lecteurs « que vous puissiez avoir en main tous les éléments qui vous permettront de décider de ce que vous voulez croire, en toute liberté et de manière éclairée » (p.15). Mais, malgré ce souhait initial et malgré l’affirmation de la fin du livre selon laquelle Dieu a la « capacité de créer des êtres libres et évolutifs » (p.527), le livre ne se présente pas comme une proposition, mais comme une injonction souvent répétée de choisir son camp. « En définitive, Dieu existe ou pas : la réponse existe indépendamment de nous et elle est binaire. C’est oui ou c’est non. Seul notre manque de connaissance a pu être un obstacle jusqu’à maintenant » (p.29). « Car les preuves de l’existence de Dieu présentées ici sont bel et bien modernes, claires, rationnelles, multidisciplinaires, confrontables objectivement à l’Univers réel et, qui plus est, elles sont nombreuses » (p. 537).
En effet, selon nos auteurs, « l’existence d’un dieu créateur comme son inexistence sont deux théories » (p.44). Le choix à faire n’est pas une question de conscience, voire de foi, mais il est au bout d’un raisonnement, d’une connaissance, à partir de laquelle « on est en droit de conclure que l’Univers, et de manière plus générale toute réalité contingente, connue ou inconnue de nous, a pour cause un être nécessaire, simple, unique, immatériel, atemporel, incausé, infiniment puissant et intelligent » (p.518). On aboutit donc – au mieux – à un théisme gnostique, une adhésion à une théorie de début du monde, alors que la foi en Dieu créateur est d’abord, me semble-t-il, une prise de position sur la primauté de la vie, de la bonté et de la beauté sur le mal et le malheur [4] !
… et le plan historique.
Au début de leur livre (pp.21-27), les auteurs présentent une histoire des découvertes scientifiques depuis le XVIème siècle. Selon eux, ces découvertes semblaient justifier les thèses matérialistes, jusqu’au début du XXème siècle. Mais depuis, la thermodynamique, les physiques quantique et relativiste et la théorie du Big Bang auraient inversé le mouvement et aboutiraient à ce que Bolloré et Bonnassies appellent le « grand retournement » (p.31), c’est-à-dire le retour de la théorie de Dieu créateur. Outre les raccourcis historiques d’une telle description, le lecteur comprend mieux ici le projet sous-jacent du livre : revenir au temps d’avant la sécularisation et à l’évidence d’un Dieu créateur « parfait et intelligible » (p.51). On peut – pour le moins - lire autrement l’histoire des sciences des deux derniers siècles, comme celle d’une recherche scientifique passionnante, avec des résultats surprenants et paradoxaux, indiquant – pour le moins – la présence permanente d’un souffle, d’une intelligence humaine acceptant de s’aventurer sur des voies de découvertes défiant le bon sens ; et ce, avec éthique et responsabilité, malgré les dérives transhumanistes. D’aucuns - croyants et chrétiens par exemple - peuvent y lire la trace d’un Dieu créateur toujours à l’œuvre…
[1] Étienne Klein a écrit de nombreux livres à ce sujet, et entre autres, Discours sur l’origine du monde, Flammarion, 2010.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Origine_de_la_vie. Selon cette hypothèse, une cellule vivante pourrait n’être composée que d’ARNs et d’un ribosome L’ADN serait venu ensuite. Voir aussi Infravies. La vie sans frontières Thomas Heames, Seuil, 2019.
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dessein_intelligent.
[4] Philippe Deterre et Jean-Marie Ploux Un Dieu créateur. Quel sens face à la science et la souffrance ? Salvator, 2020